Ce midi, lisant Je:six inconférences, de e.e. cummings - je vous extraie ce passage qui fait mouche et résume en peu de mots ce que nous tentons de construire depuis bien plus longtemps que le début du chantier !
"Au profit de ceux d'entre vous qui ne peuvent imaginer ce qu'implique le mot "maison", ou à quoi un foyer pourrait éventuellement avoir ressemblé, j'expliquerai que l'idée de maison correspond à celle d'intimité. Mais encore - qu'est-ce que l'intimité ? Vous n'en avez probablement jamais entendu parler. Même en supposant que (de temps à autres) des murs vous entourent, ces murs ne sont plus des murs ; ils sont d'une pseudoconsistance, perpétuellement traversée pas les organes collectifs complètement prédateurs de la vision et du son. Tout semblant de quelque part susceptible d'être habité est sans cesse à la merci d'un impitoyable et omnivore partout. La conception de la maison comme seul et unique endroit bien défini et particulier où se rendre au sortir du n'importe-oùeux et partouteux monde extérieur - cette conception doit vous paraître extravagante. On vous a élevé dans la croyance qu'une maison, ou un univers, ou un vous, et tout le reste, n'a qu'une apparente consistance : en réalité (et vous êtes réalistes, de ceux que rien ni personne ne peut tromper) chaque semblant de consistance est une réunion de larges trous - et s'agissant d'une maison, plus les trous sont larges, mieux c'est ; puisque la première fonction d'une habitation moderne est de laisser entrer tout ce qui pourrait aussi bien rester dehors. Vous n'avez pas la moindre, la plus vague idée de ce que c'est qu'être ici, et maintenant, et seuls, et vous-mêmes. Pourquoi (demanderez-vous) quelqu'un voudrait-il être ici, lorsque (en appuyant simplement sur une touche) n'importe qui peut se retrouver dans cinquante endroits à la fois ? Comment quelqu'un voudrait-il être maintenant, quand n'importe qui peut lorsquer d'un bout à l'autre de la planète d'un simple tour de bouton ? Qu'est-ce qui pourrait pousser quelqu'un à rechercher la solitude, quand des milliards de soi-disant dollars sont charitablement gaspillés par un bon et grand État de peur que quelqu'un quelque part puisse être seul rien qu'un instant ? Quant à être soi-même - pourquoi seriez-vous sur terre ce que vous êtes ; quand au lieu d'être vous-mêmes vous pouvez être une centaine, ou un millier, ou une centaine de mille de milliers d'autres gens ? Penser qu'on puisse rester soi-même à une époque où les soi sont interchangeables paraît le comble du ridicule."
(ce texte a été écrit en 1953... )
Pour le reste, advienne que pourra !